L’entreprise libérée, une révolution des ressources humaines ?
L’Université d’été Jules Verne, qui s’est tenue le 7 juillet 2016 à Nantes, a creusé la réflexion autour du « patron de demain ». L’entreprise libérée, sans management intermédiaire, a suscité le débat et montré que cette problématique est bien réelle pour les ressources humaines. De la nécessité à l’utopie, où en est-on ?
Un environnement économique complexifié qui demande des adaptations rapides et constantes
L’entreprise doit faire face à une adaptation constante de son organisation pour garder sa place sur un marché global, international, toujours plus concurrentiel et changeant, dû notamment à l’intégration des technologies de l’internet, l’exigence et le zapping des consommateurs. Non seulement le chef d’entreprise doit s’adapter à ces évolutions, mais il doit aussi être visionnaire et anticiper les changements du marché pour se démarquer. Il lui faut donc s’adapter toujours plus vite, rationaliser ses coûts et innover constamment pour que sa société reste performante et « bankable ». Un sacré challenge quand on sait à quel point il est difficile d’opérer le management du changement.
Sans oublier que les entreprises évoluent dans un cadre réglementaire toujours plus strict et contraignant, défini par une poignée de grands groupes. Selon les propos de Hervé BALUSSON, fondateur et PDG d’Olmix Group, lors de la Plénière d’ouverture de l’université d’été Jules Verne 2016 : « Les marchés sont régis par des groupes multinationaux puissants qui restreignent la liberté d’entreprendre ou d’innover par la norme et leurs Conditions Générales d’Achat. ». La marge de manœuvre, dans ce cadre, reste donc très étroite.
Ces problématiques ont des répercussions directes sur la gestion des ressources humaines, qui ne se borne plus, depuis longtemps, à l’administration du personnel. C’est une des ressources les plus complexes à manager mais aussi la plus riche.
L’entreprise libérée : une solution ?
Nécessité d’adaptation constante, toute-puissance des grands groupes… une des réponses apportées à ce contexte serait-elle l’entreprise libérée ?
Jean-Francois ZOBRIT, PDG de l’entreprise FAVI, un des pionniers du management libéré, nous explique : « Ce sont les hommes et les femmes qui font la valeur d’une entreprise, où l’esprit d’équipe et l’autonomie sont des vecteurs de réussite individuelle et collective. ». L’entreprise libérée aurait le mérite alors de remettre la ressource humaine au centre des organisations. En redonnant aux salariés du sens et du bien-être au travail, elle leur garantit autonomie et esprit d’équipe tout en palliant aux contraintes des marchés et en faisant gagner l’entreprise en rentabilité. Je définirais l’entreprise libérée selon 7 points :
- Allier bien-être au travail et productivité
- Une vision portée par un leader charismatique exemplaire et humble
- Avoir des valeurs partagées
- En finir avec les longues boucles de contrôle
- Rendre les acteurs autonomes
- Adopter le principe de subsidiarité
- Inverser la pyramide managériale
En remettant les salariés au centre de l’entreprise et en les responsabilisant, l’entreprise libérée est une réponse pour enlever toute résistance au changement, compte tenu du fait que le changement ne serait plus imposé mais voulu. Ainsi l’entreprise répond sans effort et rapidement aux adaptations constantes demandées par le marché.
Les limites du management libéré
Comme toute chose, ce type de management a ses limites.
Xavier ALBERTI, Directeur Général de Châteaux & Hôtels Collection et ex-dirigeant d’hypermarchés Promodès, a indiqué lors de la Plénière de l’Université Jules Verne que l’entreprise libérée ne peut pas s’appliquer à toutes les entreprises. « Le nombre important de salariés limite ce type de management car la participation de chacun reviendrait à organiser un grand capharnaüm ». Ceci aurait donc l’effet inverse d’une meilleure productivité. Si, dans une entreprise de la distribution de 400 salariés, chacun pouvait donner son avis sur chaque chose, comment s’assurer que cette nouvelle organisation ne mettrait pas en place la réunionite aigüe ? Cela aurait comme conséquence l’inefficacité par la lourdeur du processus de prise de décision.
François GEUZE, intervenant dans le cadre du Master Management des Ressources Humaines de Lille, a le mérite de nous alerter sur les dérives managériales du concept d’entreprise libérée dans un article paru sur le site www.parlonsrh.com, intitulé « l’Entreprise libérée oui, mais pas dans toutes les mains ». «Dans les faits, pour nombre d’entreprises, il s’agit d’une pratique permettant d’imposer le lean management et de procéder à une opération de « cost-killing » de manière plus ou moins brutale, et en communiquant auprès des salariés avec les codes résolument tendances du bonheur au travail, de la qualité de vie ». En supprimant le management intermédiaire devenu inutile, l’idée serait bien de faire plus avec moins sous couvert du bonheur au travail.
L’entreprise libérée : pourquoi cette tendance aujourd’hui ?
La notion d’entreprise libérée a été développée dès 1988 par Tom Peters et complétée dans son ouvrage paru en 1993 « L’entreprise libérée : libération, management » (Ed. Dunod).
Pourquoi ce type de management ressort-il aujourd’hui alors ?
La perte de valeurs au travail, le cloisonnement, les technologies : big data, internet, algorithme mis en place afin de toujours plus rationnaliser, gagner en réduction de coût, déshumaniser l’entreprise.
Paradoxe et point de rupture : ce qui fait notre économie est régi par des règles de performance monétaires et/ou binaires. Or, le capital humain est trop complexe et la seule ressource de l’entreprise qui ne répond pas à ces règles. Elles ont l’effet inverse : désintéressement, souffrance, turnover, rupture conventionnelle, improductivité, absence maladie, conflit, frein au changement…
Devant ce constat nos entreprises et nos marchés mercantiles aurait donc décidé, afin de gagner en productivité, de libérer l’homme, de redonner du lien et du sens au travail pour qu’il puisse par lui-même, et non forcé, donner son plein « rendement ». Selon Philippe de CLERVILLE, Dirigeant de la société MPO, l’efficacité des ressources humaines passe par une formule simple et vielle de plus de 2000 ans : redonner du cœur aux entreprises.
Donc, parce que nous sommes humains, nous avons besoin de nous aimer, d’aimer ce que nous faisons et de savoir pourquoi nous le faisons pour être performant.
Le management libéré remplirait donc trois missions : un bien-être au travail, une meilleure productivité de l’Homme et la capacité d’adaptation constante de l’entreprise aux demandes du marché.
Frédéric BOUROCHER
Responsable du développement commercial – consultant
Dynam IRH
Pour aller plus loin :
- www.favi.com/management
- www.ujv44.fr
- www.parlonsrh.com
- Article Ouest-France : “Insolite. À Angers, une entreprise fonctionne sans hiérarchie !”
- Article L’Express : “Comment le patron de Chronoflex a libéré ses salariés”
- L’entreprise libérée : libération, management, Ed. Dunod